dimanche 17 septembre 2006

LES ÉLÉPHANTS

Numéro trois. Le temps passe et finit toujours par rattraper tout le monde. C'est pourquoi je trouve ridicule toutes les expressions avec le mot temps: "le temps c'est de l'argent", "je n'ai pas le temps", "le temps est précieux", etc... Le temps n'est qu'un concept inventer par l'homme pour contrôler l'homme et pour l'empêcher de s'envoler vers l'aléatoire. Dans notre société, le calcul est une norme; si chaque chose n'est pas calculée à la seconde près, c'est une catastrophe digne du World Trade Center.

Mais le temps fait partie du Cycle. La vie sans Cycle ne peut être, sinon c'est le déréglement et rien ne peut se réchapper. Mais si c'était possible d'abolir la notion du temps, qu'adviendrait-il de nous qui sommes si rythmés aux pulsions des saisons? La folie, à coup sûr. Je rêve du jour où cela se produira...

Pour ces bons souvenirs de temps passés avec notre famille, celui est pour ma plus vieille soeur (mais pas vieille, en fait!)...

*Une analyse plus poussée a été ajoutée le 24 octobre 2006 à la fin du poème.
 

(à Christine)

Suivant une ombre volubile
Les enfants des ormes entrent en trombe
Dans une demeure en flammes liquides

La suite vante une trompe fort habile
Des éléphants sans cornes dans leur tombe
Cent lunes se meurent sans âme avide

Tout ceux-là
À regarder autour sans mot dire
Semblent hisser leur esprit cahoteux
Dans une éternelle attente
Heureux de voir quand servent les avirons

Sur son lit de sommeil
L’ombre attire le temps entre ses doigts
Et le fait pleuvoir sur une fillette
Devenue grand-mère

Les mémoires s’enchantent du spectacle
Mais l’effacement des minutes
Fait que les antres obscures se referment
Par-dessus les cœurs

Tout sur arrêt dans un temps disparu

En l’espace d’un souffle de l’univers
Un voix s’élève depuis les étoiles
Et entonne le chant de la cristallisation éphémère
Où toute l’aversion des peuples
Se meurt à son tour
Suivant les satellites
Vers les cités stellaires

Retour d’un rêve de désirs sans peur
D’une vie aux côtés d’un voûte astrale cendrée de poussière cosmique et brillante

Les éléphants ouvrent leurs yeux rocheux
Et regrettent le temps perdu

Les collines disparaissent déjà derrière les éclairs du soir
Car enfin
Pendant tout ce temps envolé dans le vide
Les fleurs bourgeonnaient et le vent rageait
Les animaux gambadaient et l’eau doucement respirait
Mais plus de temps pour les éléphants

24 décembre 2001

Analyse (Les extraits du poèmes seront mis en italique)

Toute l’idée du temps qui passe est présente dans la première strophe. On y perçoit très facilement le tourbillon, le mouvement incessant (suivant, volubile, trombe, flammes liquides) provoqué par une ombre. Pour ce qui est du feu, il devient liquide, donc il coule comme de l’eau. L’eau est un élément très important présent dans tout le poème. C’est pourquoi on a besoin de se servir d’avirons pour naviguer sur la rivière du temps. L’eau est aussi représentée à travers l’espace : suivant les satellites / vers les cités stellaires. C’est une déportation vers l’océan stellaire et le rêve semble vouloir conduire sur cet océan temporel. L’eau symbolise le temps en lui-même, tout comme l’ombre symbolise le temps dans son mouvement et tout comme, plus loin, les éléphants symbolisent le temps dans son arrêt.
Mais tout n’est pas aussi simple, et le déséquilibre entre ces trois forces se défait dans la deuxième strophe. Une distorsion s’effectue et c’est cela qui est retenue dans le reste du poème, alors il serait important de voir comme elle s’effectue. C’est par le niveau phonétique que j’ai voulu faire une résonance, une réflexion avec la première strophe, mais, et c’est là qu’arrive la distorsion, cette fois-ci, rien ne bouge. Le mouvement reflété devient une image immobile. Les éléphants sont dans leur tombe, les lunes se meurent sans âme. L’élément de la fixité fait son apparition, tout comme les éléphants. Il existe donc une contradiction entre l’ombre et les éléphants, mais en regardant d’un peu plus près, quelque chose semble clocher. Les éléphants symbolisent le temps dans sa fixation, illustré par leur rapport avec le rocher (esprit cahoteux, yeux rocheux), mais c’est l’ombre qui semble posséder le pouvoir d’arrêter le temps (sur son lit de sommeil / l’ombre attire le temps entre ses doigts), alors qu’elle est le temps lui-même passant comme une ombre toujours en mouvement. Et ce sont les éléphants qui en pâtissent à la fin du poème.
Tout ceux-là, on le voit bien maintenant, ce sont les éléphants aux esprits ancrés sur l’infini, l’éternité (éternelle attente) qu’ils veulent arrêter dans leurs rêves. L’ombre représente aussi les éléphants dans leurs rêves. Quoi de plus onirique qu’une vie aux côtés d’une voûte astrale cendrée de poussière cosmique et brillante, finalement, une vie à contrôler le temps ? Il y a une certaine confusion entre le rêve et la réalité (tout comme la confusion entre l’ombre et les éléphants), ce rêve de tous les humains (ou presque) de pouvoir arrêter le temps. Mais à force de rêver, ils ne s’aperçoivent pas du temps qui passe et il leur file entre les doigts (d’où l’image de l’ombre capable d’agripper le temps). L’appel du monde céleste (relié au rêve), fait par l’ombre (une voix s’élève depuis les étoiles / et entonne le chant de la cristallisation éphémère), sert à retarder le réveil des éléphants (qui symbolisent aussi les humains voulant affronter le temps : les éléphants vivent vieux et sont des mastodontes). Mais le poème le dit, l’arrêt du temps ne peut être que temporaire (cristallisation éphémère) et le réveil se fait dans le regret du temps perdu.
Après ces observations, on peut finalement dire que l’ombre et les éléphants s’unissent en une espèce de purée confuse pour reconstruire la rivière du temps (la voûte astrale) qui se remet à couler au réveil des éléphants : les éléphants ouvrent leurs yeux rocheux / et regrettent le temps perdu.
La dernière strophe reprend l’idée de la première, celle du mouvement perpétuel, du cycle répété se terminant par le courant des eaux (les collines disparaissent déjà derrière les éclairs du soir, les fleurs bourgeonnent, le vent rage, les animaux gambadent, l’eau doucement respire).
En ce qui a rapport avec l’ombre, son lieu est l’obscurité (les antres obscurs), et si on associe ces lieux à ceux de Cruelle époque pour les embrochés, les antres seraient aussi le lieu du manque, mais ici du manque de temps.
Le temps est mentionné cinq fois dans le poème, et cinq fois il est hors de portée, sauf pour l’ombre. Voyons ces passages :
- L’ombre attire le temps entre ses doigts
- Tout sur arrêt dans un temps disparu
- Et regrettent le temps perdu
- Pendant tout ce temps envolé dans le vide (vide mis pour le rêve)
- Mais plus de temps pour les éléphants
En fait, ce poème pourrait être une sorte de Recherche du temps perdu, mais sans que le temps ne soit retrouvé. J’ai aussi voulu dire dans ce poème que « perdre son temps » est l’une des choses les plus magiques du monde, même si on ne peut pas le rattraper, sinon dans le souvenir… Nous ne sommes, dans la vie de l’univers, qu’un de ses battements de cils (l’ombre attire le temps entre ses doigts / et le fait pleuvoir sur une fillette / devenue grand-mère), et l’effacement des minutes, cette perte de temps si importante pour l’homme (« le temps c’est de l’argent »), ne signifie rien pour un esprit que le temps ne vieillit pas.

1 commentaire:

il y En a a dit...

Wow toute une philosophie, en tout k cela fait deux, j'espère que tu notes. Car quand le temps viendra, j'aimerais vraiment t'entendre les lire. Merci d'avance ;-)