jeudi 16 novembre 2006

LA CHAISE ET LE BANC DE GARE

Un autre poème sur la stagnation de l'homme, mais dans la peau de deux chaises qui passent leur vie à supporter le cul du monde. Histoires d'assassinats lors d'une partie de cartes, de vieux souvenirs déments, de zombification de l'âme, d'hésitation face au suicide et d'amours déçues.

One-way ticket vers le sommeil et l'arrêt de sensations. J'avais fait l'expérimentation, précédemment, des sentiments face à la perfection dans mon poème "In Utero". La perfection qui annihile les sentiments parce trop imparfaits. J'y avais fait, en quelque sorte, gagné les sentiments. Ici, et jusqu'à la fin de ce volet et tout au long du quatrième volet, c'est le contraire qui se produit: les sentiments viendront peu à peu à disparaître, comme enfermés dans un abri anti-atomique trempé dans un acier trop solide pour eux. Farewell to the old me!

Ah! Et c'est un autre de mes textes préférés. :O)



une redingote suspendue à la chaise
bat dans un vent doux qui affaisse
des branches portant l’univers
la mort
et les retailles des cheveux d’un président

adieu au roi de la forêt
effondré ventre à terre
et la tête au-dessus d’une table basse
où de vieilles femmes sirotent
un thé de camomille et de jasmin
inconscientes devant le manteau vide

la chaise habillée d’une redingote
peine à soutenir ce morceau de chair
mort empoisonné
le poison étincelant
de la pulsation de la vie dans un cœur dégénéré

elle tente d’asseoir son pouvoir
le cul ne bouge que d’inanition

il ne reste que le contrôle de la pensée
mais de nos jours
les morts ne pensent guère
et les vivant pensent guerre

debout
la chaise se demande s’il eu été préférable
d’être morte

au chaud dans son vêtement
elle décide que maintenant n’est plus ici
plutôt là-bas
sur un banc de gare
attendant son express dans un demi-sommeil
avec en main une minuscule étoile
qui ne brille plus

rendez-vous avec le charnier des souvenirs
un passé qui absout
un présent qui attend
un futur coincé dans la sénilité
et le silence

un banc et une chaise
l’un portant le temps dans son arrêt
l’une souffrant la vie de l’Homme

les deux angoissent de se voir ailleurs
n’importe où hors de ce monde
ou peut-être dans un foyer
réchauffant les mains de cette femme sur le quai
qui entend le temps passer à la vitesse d’un train

la peur les renvoi à leur état frigide
de meubles anguleux et rigides
condamnés à supporter le poids
de tous les morts marchant vers un but
inconnu

se réjouissant à cette idée
la chaise et le banc retournent dans leurs rêves de bois

30 octobre 2002

1 commentaire:

il y En a a dit...

Ouais je l'aime bien celui là moi aussi et j'aimerais bien te l'entendre me le lire un jour, un jour...