jeudi 30 novembre 2006

HONNEUR DES OMBRES

Je ne sais pas trop comment commencer ceci. J'y ai réfléchi pendant plusieurs semaines et je n'en suis venu à rien. Rien d'autre que d'en arrivé à cette époque très noire dans mon esprit et dans ma vie. Époque où je me transformais en ermite solitaire, à vivre dans un sous-sol qui me faisait tousser et dans l'incompréhension face à la vie commune de deux bombes prêtes à exploser. J'étais très (TRÈS) effacé devant mes parents à cette époque. Tout ce que je sentais était une vague de stress incroyable qui m'a fait me recroqueviller encore plus dans mon sous-sol. La peur, la colère, la quasi-impuissance. Ces sentiments m'habitaient à longueur de journée...

J'ouvre ici une page que je n'ai pas souvent relue et que certains qualifieraient d'exagérée. Ce poème, "Honneur des ombres", est la représentation de mon intérieur "menacé" par une sorte d'ombre, totalement extérieure à moi, mais en même temps si près. C'est le poème le plus authentique que j'aie pu écrire dans cette période. C'est un texte sur le Père, c'est un texte de purgation de toute une colère brute qui finît par me terrasser. C'est l'expression de l'angoisse la plus pure, et sans ce texte, jeté sur une feuille de papier avec la main qui tremble et les dents serrées, je ne sais pas si j'aurais continué à écrire ou même à être ce que je suis aujourd'hui.

Ma mort métaphorique a lieu ici même, pour me permettre de mieux me relever par la suite. Un repos de deux mois fut nécessaire avant que je ne retouche à un crayon pour écrire. C'est aussi à ce moment que j'ai commencé à moins écrire, pondant ici et là des textes d'une pureté et d'une incision presque effrayante. Bref, vous n'avez encore rien lu. :O)

* Suivra après le poème, pour ceux que ça intéresse, une analyse de ce poème que j'ai faite dans le cadre d'un cours de poétique sur le thème de la furie...


L’ombre jacasse de ses dents noircies par le soleil ardent.
Dans mes idées se faufilant, elle dévore celui qui ment.
Bain de neurones calcinées, ses pas feutrés vident mon ouïe
De toute alerte dirigée contre le mal et ses bandits.
Horreur du cœur dans la chaleur, un arrêt du temps trop présent.

Danger d’une suffocation si je n’arrive à respirer.

En moi s’installe une torpeur rassasiée par le corps dément
Et se congèle autour d’un son la membrane d’un bénitier.

Ils ont peur de la nostalgie des étés passés sous les arbres ;
Là où se balancent sans vie cent preux jadis de haute garde.
L’ombre regarde ce portrait et pique avidement mes chairs
Qui partent ainsi derrière moi, n’oubliant point le vif Ancien
Sommeillant encore une fois sans se souvenir des images
Qui se volatilisent en jets aussi brillants que les Enfers,
Ceux montrés sur les grands autels, pivotant, vidés, pour un rien.

Je regrette déjà la belle envolée loin dans son voyage,
À la recherche de conscience habilitée pour me guider.

Mais par perte de vigilance, l’ombre finit par me tuer.

11 décembre 2002


ANALYSE

Ce texte est ce que j’appellerais un poème bi-octosyllabique, où des rimes se manifestent à la quatrième et à la huitième syllabe de chaque vers. Sa structure très étroite pourrait détonner du sujet du poème : la furie. Cette métrique consiste en fait en une tentative de contenir cette fureur destructrice sans qu’elle n’explose. Elle fait d’ailleurs craquer le dernier vers (où on compte 17 syllabes au lieu de 16) ; c’est dans celui-ci qu’elle finit par se débarrasser du « je ».

La fureur de ce poème arrive de l’extérieur. Une ombre (encore un fois, mais cette fois-ci plus menaçante et mortelle) arrive et crée un climat de chaleur extrême : dents noircies, soleil ardent, aussi menaçant que celui dans "Cruelle époque pour les embrochés" (que vous lirez très bientôt, chers lecteurs!), neurones calcinés, chaleur, suffocation. Le tout se congèle ensuite dans un froid tout aussi brûlant par l’entremise de la membrane d’un bénitier. Ici, bénitier peut être pris dans ses deux sens. Le sens religieux : où il ne resterait que la surface du bénitier, la membrane, sans toute la signification qu’il porte (relation avec le corps dément et les Enfers), mais qui emprisonne tout de même un son. Le sens marin : une coquille de mollusque mort (une huître, par exemple) qui se referme sur le son (et dieu sait que c’est très difficile à ouvrir, ces coquilles…). Cette membrane est l’action de l’ombre, sa furie englobant tout. Quel est donc ce son ? C’est la figure visuelle qui reprend l’ouïe vidée du « je » dans la première strophe. Le son est le représentant des sept notions dont je parlerai plus bas.

Dans la première strophe, on peut penser à la furie provoquée par une insolation menant à la folie. Une sorte de perte de contrôle se produit dans cette furie. Mais ce n’est pas tout. L’ombre (la fureur) encercle le « je » du texte (du côté de la forme, le poème commence et se termine avec elle, du côté du contenu, c’est la membrane qui recouvre le son) et lui fait perdre sept notions : l’ouïe, le temps, l’air, les souvenirs du passé, la conscience, la vigilance et la vie. Le chiffre sept a une importance première dans la compréhension du poème. C’est le symbole religieux de l’entièreté du cosmos. Le « je » symbolise la totalité de l’univers et se fait ronger, piquer, et finalement détruire par la fureur dévorante et insatiable venant de l’extérieur (le mal et ses bandits). C’est la fureur qui anime l’ombre, parce qu’elle est fureur elle-même. Elle jacasse, dévore, a peur du passé (mais le détruit par la suite), regarde, perce la chair et tue. Ces actions semblent apparentées à la folie, mais ne parle-t-on pas, parfois, de « folie furieuse » ?

L’ombre n’a peur que d’une chose : la nostalgie du bonheur et de la tranquillité (étés passés sous les arbres). Mais tout de suite elle s’empare de ces souvenirs et les transforme en des lieux de mort (là où se balancent sans vie cent preux jadis de haute garde). En se rabattant furieusement sur le « je » (pique avidement mes chairs), elle oblitère totalement l’idée même de se rappeler le passé (sans se souvenir des images). Démonstration d’un gouvernement totalitaire voulant rendre son peuple complètement assouvi et idiot. Dans cette partie du poème, le vif Ancien fait référence à Héraclès furieux massacrant tout sur son passage, quand Héra l’avait rendu complètement fou.

Le chiffre cent, en regard aussi avec le poème "Les éléphants", a un certain rapport avec la mort. Une mort nombreuse (Cent lunes se meurent sans âmes avides, où se balancent sans vie cent preux jadis de haute garde).

Une présence bienfaitrice semble pointer son nez dans les trois derniers vers pour venir en aide au « je ». Présence féminine du bien (la belle, presque absente) en opposition avec la présence féminine du mal (l’ombre, omniprésente). Mais cette bonté qui semble si magnifique, partie à la recherche de conscience habilitée pour guider le « je », est loin et ne peut revenir…
Il y a une allitération du « r » dans tout le poème (ex. : Horreur du cœur dans la chaleur, un arrêt du temps trop présent), voulant faire ressortir la rage, la furie, par la sonorité des mots.

Poème fataliste, l’issue se trouve dans la mort.

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