dimanche 26 novembre 2006

LA CITÉ DE LUMIÈRE

Un poème narratif anti-mythe originel. Cru, sauvage, sanglant, explicite à souhait et noir comme le vide, nous suivons le Colon tout droit sorti du mythe états-unien intitulé "une bible, une bourse et un fusil". Inspiration d'un professeur que j'ai eu (ah... monsieur Vidal, quel intellect à fleur de peau!) à l'université avec qui nous avons étudié Moby Dick toute une session.

Pessimisme flagrant, la Raison et la Bonté avalées par le Chaos, la Violence et la Faim (qui, j'en ai déjà parlé, dérègle l'esprit humain et instaure la peur qui tue). Les monstres incontrôlables n'ont qu'une idée en tête: atteints de la faim infinie, ils mangent tout ce qui est à leur portée, corps comme esprits, anéantissant les pensées les plus rigoureuses.

Encore une fois, c'est la bête humaine qui arrive en avant-plan, sorte de Minotaure intérieur qui prend le dessus sur l'homme au lieu de vivre en harmonie avec lui. Tant que ces deux forces se combatteront, il ne pourra y avoir de paix dans l'âme humaine...


Ce jeune homme déambule sobrement
avec dans les mains une bible et une bourse.
Vers l’Ouest toujours ses yeux fixent
un précipice sans nom où tous s’enfoncent.

Tout au fond pousse une large forêt
lieu de cannibalisme sans limite
des dents carnivores arrachant la vierge chair
de quelques os encore purs et chastes.
Les yeux ébahis voyant le nouvel arrivant
se révulsent dans un plaisir inassouvi.
Le jeune homme les voyant ainsi
n’a d’idée que de les convertir à sa parole.

« Vois ce qu’en ma main je tiens
peuple mangeur de viande crue
et réponds à ma prière de bienveillance.
Prends ces pièces et vient avec moi
car ici ne reposent que les vices
et là-haut demeure encore la lumière jaune.
Ces fourrés sombres et verts ne sont rien
en comparaison à la plaine illuminée… »

Eux de le regarder la langue pendante
ne comprenant que leur faim intenable
pouvant être rassasiée pour toujours
s’ils suivent cet étrange être au langage serein.

De cris et de grognements
ils le somment de les guider
et le sourire aux lèvres
le bon fou les guide sobrement
à travers les méandres de la large forêt
jusqu’au pied de l’innommée falaise.

De là le périple débute réellement.
Avec leurs larges mains musculeuses
les cannibales grimpent péniblement.
Certains se font emporter par le vent
d’autres glissent et se fracassent les os
mais la plupart
la sueur au front
parviennent au sommet avec les membres endoloris.
Qu’en est-il du jeune homme à la bible et à la bourse
qui les regarda monter de son œil déjà élevé?
Une force supérieur flotte en lui
et peu de chose est la montée d’une vulgaire falaise
pour un être à la fois si prude et si courageux.
Déjà en haut il était
quand le premier de la troupe mit la main sur la première pierre.

C’est donc ensemble
moins quelques âmes
qu’ils reprennent leur route vers la Cité de Lumière
où les plaines illuminées sont labourées par les dieux.

Le voyage est long
et la faim se fait outrement sentir
dans les ventres creux du peuple de la forêt de chair.
Des jours passent
et toujours rien.
C’est à ce moment que le jeune homme leur parle.

« N’ayez crainte de la distance
bientôt nous verrons les tours de la Cité Blanche. »

Quelques heures plus tard
l’envie des dents-pointues est freinée par la vision sublime.
Les champs à perte de vue
aussi jaunes que les yeux de la déesse Hélène
où des centaines d’êtres évoluent de part et d’autre
légèrement vêtus de blanc
souriant sous le soleil éblouissant.

« Ici la faim pour vos prochains cessera
de la mort des autres votre bonheur ne se fera pas
car c’est un paradis où la faim n’existe plus… »

Les cannibales n’écoutent plus le bon fou
et ils sautent ça et là à travers les champs doux.
Leurs pensées oblitérée accentuant leur faim
c’est à pleine dent qu’ils dévorent chacun des bienheureux.
Sans aucune défense ils fuient devant ces bêtes féroces
ils s’éteignent l’un après l’autre dans des cris atroces.

Le chaos règne pendant des heures
et le bon fou reste à contempler le malheur
qu’il a lui-même engendré.
Le vide s’installe dans son esprit
réconfortant en même temps son cœur déchiré.
Là où jadis la vérité fut
là où naguère vivaient tous les dieux de la Terre
là où autrefois se reposaient les astres dans leur long voyage
il ne reste plus que le rouge des visages
ceux des cannibales s’offrant ce festin de chair
parmi les corps déitiques sans plus aucune vie.
Ces charognards se tournent finalement vers leur guide
et l’élèvent au rang de roi de la viande.
Ils le paradent au milieu des cadavres encore frais
incomplets
et lui
les yeux fermés
pense à sa propre mort au milieu du carnage
une mort qui n’est plus qu’un rêve lointain au-delà des nuages.
Son corps n’est plus qu’une loque sans vivacité
et c’est en versant des larmes froides
qu’il se met à manger à son tour
les dieux en qui il avait foi.

20 novembre 2002

1 commentaire:

il y En a a dit...

Pitié pas encore elle 'Hélène'', oui, on pourrait croire que je suis jalouse d'elle. Mais ce n'est pas cela. Je comprends qu'elle fut ta muse à une certaine époque mais là, tu abuses... Pour en venir à tes textes, je peux dire que c'est pas mal cyniques et je ne suis pas trop certaine que j'aimerais t'entendre lire ces textes du moins jusque là.

Bonne nuit