vendredi 14 avril 2006

IN UTERO (poème en prose)

Voilà. Le texte qui va suivre pourrait être considéré comme une petite nouvelle. Au commencement, je l'ai séparé en vers, mais plus ça allait et plus je me disais qu'il gagnait à être déconstruit et reconstruit en prose pour plus de fluidité.

Ça commence un peu absurdement, mais rapidement, on tombe dans une fantaisie qui caractérisera plus tard mon épopée de l'Ange Noir (avec le Dernier Soupir). "In Utero" se retrouvera d'ailleurs intégré au Dernier Soupir. Je n'analyserai pas ce texte, je vais plutôt vous laisser vous imprégner par lui, c'est tout de même un peu plus long que tout ce que j'ai mis ici jusqu'à présent. Suivra ensuite des commentaires que j'ai laissés à l'époque et quelques années plus tard.
Alors sans plus tarder...


IN UTERO
(poème en prose)

J’ai rencontré un chien dans la rue, sur un trottoir mouillé et infesté de mauvaises herbes un peu bourrues, celles qui volent dans l’air humidifié. Cette étrange boule de poils m’a dit qu’il s’était fait marcher sur la queue mais qu’il s’en remettra lundi, il n’avait pas le choix malheureux ; c’est son jour de piqûre, m’a-t-il dit, où il se fait porter à la fourrière et voler son âme de chien maudit tous les lundis, oui, et c’était hier.

Nous avons marché en discutant, nous fichant des passants non pensants, et en dévorant un onguent de sang sans nous rendre compte du temps filant comme un long ouragan du sud, une tempête engouffrante d’attitudes engagées d’un parfum très opportun à la position dont avait le cajun qui regardait passer les nuages gris en criant des insanités comme une pie.

Il m’a aussi dit que rien n’existe, car rien ne reste quand on oublie, et si personne ne peut se rappeler, aucun passé ne peut exister. Rien ne reste quand j’écris si personne ne se souvient de ce qui existe, pas même la lumière, ni la noirceur, car si on les voit, on peut les oublier en attendant pendant une éternité la création nouvelle qui se meurt.

Il a dit : « La vie est courte, l’ami! mais n’oublie jamais qu’ailleurs ou ici, les gens sont tous pareils, je m’y connais, et quoique tu fasses, disparais! C’est ce que je tente de faire chaque lundi, mais cela m’est impossible, je suis pris! Envole-toi très loin, retourne d’où tu viens, (d’où je viens?) là où tous les êtres se comprennent bien et où mon cœur rêve toutes les nuits. Ne reste pas dans cette jungle et fuis! »

Bien sûr, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras et c’est ce que j’ai fait à la première occasion. Je me suis envolé très haut, à travers sillons de poussière d’étoiles, envolé jusqu’à l’amas de plusieurs galaxies en mouvement, où j’atterris au centre joyeusement. Une horde de vaillants chiens arriva et me salua très poétiquement : « Ô noble étranger qui vient du firmament, du fin fond de l’univers tout en émoi de perdre son doux sourire blafard, sois le bienvenu parmi nous tous qui t’accueillons sur cet éternel pulsar et où la vie idéale mousse et pousse! »

Je me suis alors accroupi et assis, les serrant tous dans mes grands bras, en les embrassant tellement fort. Je souris. Ils rient aussi, perdus dans l’oubli de l’embarras. Un monde où tous se comprennent bien, c’est vrai, point ne savais-je que seul moi pouvait comprendre leur fortune sans rien, leur bonheur enchanteur dépourvu d’effroi. Un sentiment que je pouvais tâter de mes mains et une douceur battant la vitesse d’un train.

Je suis parti avec ces canins étranges visiter les galaxies utopiques, parfaites, que ce chien terrestre à l’allure hirsute m’avait tant vantées dans sa chute, et j’ai senti, pour la première fois, quelque chose qui clochait dans une grange. Une fête avait éclaté, et quelle fête! Un festin dont j’étais le principal repas. Ils m’ont transporté sur un autel, peu confortable d’ailleurs, pas comme à l’hôtel, et là, une vision des plus parfaites apparut. Une femme, et non un chien, en robe blanche et transparente, au visage angélique. Sa voix musicale sonnait en ut et disait : « Laissez m’en une tranche, je ne veux point de part atrophique! » C’est là que je réalisai la raison de ce monde si parfait qui faisait qu’il était de ces plus parfaits. Une chose est morte ici, la passion. Je réussis à défaire mes solides liens, mais plus jamais je ne serrerai de chien.

Je courais tel un taureau en furie, traversant cette cohue canine et cruelle en piétinant quelques âmes impies (âmes maudites?) détachées en infimes parcelles qui volaient en éclats rouge vif sous mes pieds de la même couleur qu’une haute marée où tous se meurent, un rêve immense devenu passif, un petit feu follet fort peu fidèle, un oiseau saignant et battant des ailes...

Une intense lumière me fit perdre équilibre et raison en même temps, stéréophonique. Une brillance accrue et agoraphobique, je m’accroupi près d’un arbre en pleurs? Tout autour de moi s’était transformé en un horrible cauchemar où j’étais la cible. Et la panique surgit de mon effroi telle une ombre infâme et cruelle sortant d’une sombre et sale ruelle pour estropier une pauvre victime d’une société tombant de sa cime.

Je me suis éveillé dans le noir, je ne pourrais dire s’il était tard, car plus une lumière ne brillait aux cieux. Un sol froid, terreux et poussiéreux était l’endroit où mes yeux fixaient. Une sensation étrange surgit de mon être ; une étincelle noire et chaude rageait et bouillonnait telle les feux de l’enfer. Et soudain, sous l’obscurité opaque, un flocon de neige ébranla la balance du monde qui entourait mes pensées les plus incompréhensibles, dans un sac qui venait de s’ouvrir comme une lance perçant le cœur d’une charogne désossée.

Je me levai donc pour m’apercevoir que cet univers se décomposait. Il vieillissait dans l’étroit entonnoir qui très tranquillement m’engouffrait dans ses entrailles sombres et noires. Mon esprit s’échappa rapidement de mon corps agissant comme une foire, celle où de nombreux chiens savants, (encore des chiens!) qui dansaient autour et qui allaient boire tout mon être, se transformaient tout d’un coup en difformités purulentes aux abois qui rôdaient dans une forêt en dessous d’une grange où mille feux grégeois fusionnaient avec la nature sans cesse en constant changement, un miroir face à la forte température en baisse.

Je me souvins soudain que dans ma poche se cachait un objet inusité et simple, une allumette gisait sous une roche, une chandelle en main telle un temple grec abritant quelconque déesse nue dans la tempête qui régnait en cet antre de pures délices et d’orgies cornues et où je venais de découvrir que j’entre dans le véritable état de ce monde parfait qui ne l’est plus vraiment en fait, car le visage du mensonge immonde s’est montré à moi malgré le regret que je porte à mon univers perdu et à jamais loin derrière, disparu...

Je me lève soudainement, le vent soufflant dans mes cheveux gelés par tout ce froid, l’allumette envolée dans l’air reposant et ma bougie veillant toujours sur moi, une pauvre âme seule au milieu de tout ce désert de neige, cette poudre cacophonique de gêne sortant tout droit de cette gueule qui s’ouvrait à moi tout là-haut, dehors. La face cachée de ce monde parfait était maintenant révélée, une horde de créatures décomposées en agrès se précipitait vers mon corps froid pour me donner en pâture au roi. Le roi du royaume de la perfection voulait à tout prix attirer mon attention vers le trou que je faisais devant lui, vers mon corps qui disparaissait sans son autorisation dans cette nuit, et mon âme s’envolait et dansait.

Non, je ne retournerai plus jamais vers cet univers de perfection factice où toute l’abolition de nos caprices en fait un enfer de total rejet. Non, jamais plus je ne souffrirai dans cette noirceur de chiens cruels, dans cette animalité canine éthérée et jamais plus de peurs éternelles dans cette nuit infâme de bestioles affamées de mon âme si fragile, si pure, entourée d’une belle auréole et devenue si ouverte à tout ce vil revenant qu’est devenu mon corps que je devrai renaître de cette Mort...

Je m’entoure de plénitude avant de redescendre vers mon propre rêve qu’est ma vie tranquille, mon Ève. Ensuite je me tourne en regardant le soleil se levant devant mes yeux. Ce soleil si brillant que j’en suis aveuglé de bonheur. Ce bonheur heureux qui m’absout de son souffle aveugle et avec qui je rencontre mon âme sœur. Je veux Aimer de tout mon cœur je veux t’aimer et vieillir avec toi, ô ma douce éternité au-dessus des toits, pour que reposent enfin ces tourments de chagrin qui explosent en mon crâne. Tous ces terribles regrets profanes et infernaux accablant mon chant.

Ouvrant ton cœur aimant et chatoyant, tu ressembles de plus en plus à ce quoi je voulais toujours embrasser en pensant à ces journées écoulées, ces nuits sans toi. Ton besoin se fait alors sentir au fond de moi, qui étais parti vers ce monde qui croyait en la perfection de la vie, oui, une vie sans toi. L’amour n’existant pas, cet univers est devenu laid, en autodestruction de par ma seule pensée qu’au fond, tout cela lui manquait aussi ; que le sentiment très fort et éprouvé lors de ta rencontre lui a fait saisir ainsi qu’il était alors perdu dans ses troubles incommensurables et vains de perfection.

Pourquoi la perfection quand on peut avoir en sa possession le plus grand secret du monde, et qu’elle n’existerait pas sans ce pouvoir de contrer cette perfection si immonde? Je vous le demande, en fin de cette longue route, quelle est la plus belle chose d’entre toutes : écouter un sale cabot nous dictant les vertus de l’Humanité, ou être disposé à voir nos bévues? En vérité je vous le dis : Écoutez votre conscience, cette petite flamme au fond de votre âme qui allume les feux les plus vigoureux de l’essence d’une vie trop précieuse pour un puits infâme, et devenez en même temps cette flamme pour qu’enfin vous respiriez cet air si pur qui vous souffle à l’oreille les obscures folies que sont les beautés d’une femme et ces songes qui vous transportent loin de toute civilisation perdue dans les desseins de la perfection en constante absence, cette civilisation perdue dans la recherche de ce manque à l’être humain en transe, envolé dans ses rêves qui cherchent une autre solution à cette trop belle perfection, et qui devient un chien au milieu de la circulation...

27 octobre 1998


"PETITES EXPLICATIONS DE « IN UTERO »…
27 octobre 1998
Quelle est donc cette histoire de chien? Le chien représente le meilleur ami de l’homme, son plus fidèle compagnon, n’est-il pas? Quoi de mieux que celui-ci pour conduire un être humain dans la plus grande dérision, dans la grande impasse du questionnement humain : la perfection? Comment ne pas succomber à la tentation d’envoyer l’Homme (avec un grand H) dans son propre enfer que par ce si amical animal? J’ai succombé à cette tentation – personne n’est parfait - mais tout cela n’est pas venu en criant shazam!!! Au tout début de mon histoire, je n’avais pas du tout idée de la suite du texte. Tout m’est venu au fur et à mesure que j’écrivais, comme si un esprit avait guidé mon bras supportant la main qui écrivait. Tout cela pour dire que, en fin de compte, les chiens on des dents, pas seulement du poil qu’on peut flatter, et qu’il faut se méfier même de ces beaux compagnons…

7 novembre 2000
Deux ans presque jour pour jour. Une coïncidence? Peut-être pas. Je voulais simplement ajouter quelque chose au paragraphe plus haut. En relisant In Utero, j’ai découvert qu’inconsciemment, j’avais fait une métaphore de la vie et résurrection du Christ… À moins que je ne me trompe… Il me faudrait l’avis d’autres personnes. J’ai aussi, au milieu de l’année 2000, transformé mon texte pour qu’il soit écrit en prose. C’est cette version qui est plus haut. Vous remarquerez aussi que le thème de la perfection est très récurent dans mes écrits, surtout mes poèmes, si vous les avez lus, ce que vous devriez faire si ce n’est le cas. Je fais aussi une allusion à un autre texte que j’ai écrit je ne sais plus quand qui s’intitule "Ici, sur Terre..." C’est dans le huitième paragraphe. Lisez "Ici, sur Terre..." et vous le trouverez!"

14 avril 2006
Pour ceux qui ne sont pas au courant ou qui ne l'ont pas lu, "Ici, sur Terre..." est la première partie d'une trilogie qui fusionnera en un seul roman, celle de l'Ange Noir qui a fait son apparition dans quelques poèmes déjà. Un jour, pas maintenant, il verra le jour ici.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

J'aime beaucoup le style de IN UTERO. Tu le manies de façon fort habile. Pour ma part, je me laisserais bercer longtemps de cette façon. Quoi que mon amour pour les chiens soit un peu écorché au passage... ;)

Luc Pelletier a dit...

Mais ne t'inquiète pas, ça ne vise pas tes chiens en particulier! :O)

En passant, t'avais-je fais lire le Dernier Soupir?