dimanche 28 mai 2006

DE LA FORME ou essai sur la dégénérescence de la pensée structurée, ou l'exformisme comme aboutissement du concept chaotique

Un texte écrit il y a deux ans et demi. Enfin, la voilà, ma théorie sur le concept dont j'ai parlé à quelques reprises dans certains commentaires. l'exformisme dans les début de sa création. Je vous le met ici pour que vous puissiez mieux comprendre le fonctionnement (ou non-fonctionnement) des poèmes qui suivront à partir du deuxième volet (encore deux poèmes et on y est!). Je n'ai pas encore poursuivi mes recherches dans cette création qui est mienne de l'exforme, mais les bases sont là.

Précision: l'ironie de la chose veut que ce texte ait été écrit dans le cadre d'un cours de maîtrise sur l'essai. :O)


Toute forme conduit vers le conformisme de la pensée. Qu’est-ce donc que cette phrase nébuleuse sortie tout droit de mon esprit? Je ne pourrais pas dire que cette pensée soit mûrement réfléchie, et encore moins accrochable à la réalité dans laquelle nous vivons tous. C’est toutefois une pensée digne d’intérêt et il me semble que la développer ici serait chose souhaitable.
Il faut ici prendre l’idée de « forme » dans son concept le plus large. S’encadrer dans une forme réduit l’esprit humain à son niveau le plus simple dans le sens suivant : l’épanouissement de l’esprit ne peut se faire totalement que par une absence de forme, à travers une brutalité (dans le sens minimaliste du terme) et un chaos sans contrainte. C’est pourquoi il me répugne d’écrire sous quelque forme que ce soit. Une idée originale ne vient que par spontanéité, en dehors d’une réflexion qui l’encadrerait dans une forme. C’est ce que je pourrais appeler un concept-chaotique, originaire du plus profond de l’inconscient, donc plus authentique, si on veut.

La forme fait partie du processus de nivellement caractéristique de l’époque moderne, et beaucoup plus encore de notre époque post-moderne aliénée. On nous présente les formes dans toutes nos activités, et on ne peut s’en détacher. Les moules foisonnent, ce sont le nouveau dada des têtes dirigeantes. On n’a qu’à regarder la nouvelle mode depuis quelques années, avec toutes ces voitures modifiées tout droit sorties d’un film de Vin Diesel et conduites par des clones à casquette qui n’ont qu’un seul but dans la vie : avoir l’air viril en faisant le plus de bruit possible avec leur voiture et manquer de respect à la race humaine… Une bonne dose de cinéma populaire et tout ce qu’il reste à faire est de laisser la forme s’insinuer dans le cerveau de la populace. Tout le monde pareil! C’est bien plus simple quand tout est construit de la même façon ; le cerveau travaille moins, car il voyage dans des sphères connues depuis longtemps. Il est ensuite plus facile de modeler le tout, votre esprit ayant été endormi par l’habitude, le toujours-pareil dans la structure même de vos vies.
Tout part d’une structure rhétorique vieille de quelques milliers d’années. Cette rhétorique a établi un modèle de langage interactif qui pourrit maintenant les fondements de notre pensée. On ne peut plus dire un mot sans qu’il soit passé au peigne fin d’une analyse psychanalytique et sociologique. D’où la naissance du langage « politiquement correct ». Le tabou devient aberrant et de plus en plus dangereux, puisqu’il se cache maintenant derrière un faux mur de nouvelle extériorisation de l’être. La population ne s’aperçoit pas qu’à travers tous les messages d’affirmation de l’individu se cache un Big Brother qui impose un modèle (en tant que mode), une forme particulière : il oriente l’individu vers une structure générique. « Affirmez-vous, mais nous vous dirons comment faire ». On apprend aux étudiants comment réfléchir sous une forme bien définie : « Référez-vous au guide méthodologique pour vos travaux ». Le mode de la dissertation est le fléau de la construction de la pensée. En fait, je ne devrais même pas parler de "construction" de la pensée, mais plutôt de "modelage". Depuis des siècles, les élèves suivent cette forme, et rien n’a évolué. Je regarde autour de moi et tout ce que j’observe est la régression de l’esprit humain. Tout n’est que forme et tous se refusent à accepter le chaos. Chaos non pas comme négativité de l’existence, mais plutôt comme une nouvelle tentative de pousser encore plus loin l’esprit humain.

L’obsession de l’ordre et de la propreté est aussi une partie de cette forme arrêtante qui affaiblit la pensée afin de mieux la contrôler. On vous envoie combattre des bactéries jadis inoffensives à l’humain pour que vous ne vous rendiez pas compte que la forme vous absorbe peu à peu en elle. Un pas de plus vers une conformité facile à diriger. Les êtres génériques ne sont plus seulement dans la télévision ; ils marchent maintenant dans les rues, mangent dans les restaurants, à côté de vous. Tout n'est plus qu'archétype. C’est votre patron, votre confrère de classe, votre voisin, tous ceux qui peuplent les bars, la nuit, et les jeunes, surtout, dont l’esprit pas encore suffisamment développé s’intègre de plus en plus facilement dans le conformisme de masse (casquettes et voitures modifiées…). Nous sommes dans l'ère où le mot "zombie" prend ça plus grande signification.

Dans « conformisme », il y a le mot "forme" et "avec". En essayant de tout entrer dans une forme quelconque, le théoricien conformise ce tout qui pourrait être tellement plus s’il était laissé à lui-même. C’est de même pour tout le monde. La catégorisation, le rassemblement « d’objets » et de « sujets » ne fait qu’aggraver la capacité pour l’être humain d’une pensée polyvalente. Ce qui nous conduit alors vers la spécialisation. Je dirais que c’est semblable au classement des genres en littérature : inutilité s’ils ne sont pas entrelacés. Tout comme la poésie et la prose. Il faut provoquer l’éclatement de la forme, créer un exformisme qui ira non à l’encontre du conformisme, mais parallèlement, à côté de celui-ci, afin de le déconstruire et non le détruire. L’exformisme est le résultat de l’aboutissement du concept-chaotique. C’est pourquoi je n’utilise pas les termes antiformisme ou anticonformisme. C’est une démarche à l’extérieur de la forme que je préconise. Je ne pars pas du constat qui nous sort de la forme, mais d’un tout autre qui nie l’existence de cette forme. Il est évident que ma recherche à ce sujet ne fait que débuter, que mon propos doit sûrement paraître nébuleux. Soit, c’est ce que je veux puisque je ne me base sur aucune forme pour élaborer ma pensée. Je la laisse libre, sans aucune contrainte. Toute prête à la spontanéité. Le travail que je ferais par la suite pourrait venir tout gâcher, parce que j’essaierais sans aucun doute d’y établir une structure définie, puisque c’est ainsi que j’ai été éduqué. Mais le mal doit déjà être fait au point où j’en suis…
J’en reviens donc à l’exformisme, l’écrit au-delà de la forme, la pensée au-delà de la structure. Mes écrits tendent vers cela. Je ne prétends pas m’inscrire dans une forme particulière, sinon celle de ma pensée chaotique. Avec l’écriture semi-poétique que j’utilise, je tente de dérouter, afin que l’esprit du lecteur trempe dans une confusion inconnue qui le sort de sa forme habituelle. C’est pourquoi je prise l’action écritorielle de l’inconscient. Un poème trop travaillé n’est plus un texte parlant, il devient uniquement une forme sans vie. La poésie moderne s’est tournée vers cette obsession de « la forme et rien que la forme » (société et mœurs des hommes obligent), oblitérant totalement le reste de ce qu’elle était, et ça lui a été fatal. Aujourd’hui, en 2003, la poésie est morte. Tout ce qui reste n’est qu’une forme, des termes pour qualifier cette forme et une mare putride dans laquelle tout cela flotte et que je nomme structure. Un recueil de poésie suivant un thème particulier n’a plus sa raison d’être, de nos jours. En envoyant le mien à un éditeur il y a quelques mois, je me suis vu refuser sa publication parce qu’il était trop polythématique. « Peut-être que si vous classiez vos poèmes par thèmes, il serait plus facile de les lire ; notre pensée structurée pourrait alors comprendre quelque chose à travers ce brouhaha de signes diffus et contradictoires qui peuplent votre poésie ». J’ai fait une tentative de classer tous mes poèmes, mais il manque quelque chose, il manque ce chaos originel qui les habitait avant et qui fait partie intégrante du concept-chaotique pilotant l’exforme… C’est un pur plaisir de l’esprit que de lire une poésie chaotique, des poèmes qui n’ont aucun lien entre eux et qui déroutent totalement, laissant le cerveau dans une incompréhension sublime. Le détachement de toute forme permettra de saisir l’essence même de ma poésie, l’essence même de l’acte de création de tout créateur…

Je pense que la population refuse le changement. Cette folie de la forme (surtout construite par les médias) a inscrit la peur dans les cœurs, une peur du changement. Ce n’est pas surprenant que le Québec ne se soit pas encore séparé du Père fédéral que l’on nomme Canada. Cette pauvre province est tellement ancrée dans le giron conformiste de son papa que, confronté à un choix qu’il n’est pas habitué de faire, il oscille entre le oui et le non, et se retranche toujours dans l’habitude, maladie contagieuse difficile à guérir, j’en conviens…
Une pensée structurée peut sans doute mieux fonctionner dans la société, mais qu’adviendrait-il si toutes les formes de cette société venaient à disparaître totalement, si l’ordre cessait d’exister? L’humain n’est pas prêt à cela. C’est la folie assurée. Et quand je parle de folie, c’est cette folie malsaine qu pousse l’homme vers son autodestruction, l’anarchie dans le sens où tous les conformistes l’entendent. Un esprit exforme serait capable de survivre, puisque la forme même de la société ne l’affecterait pas. Si la civilisation n’était plus, l’exformiste reviendrait à son élément originel et il pourrait à nouveau progresser, détaché des contraintes de la loi, des règles, donc de la forme. L’évolution de la pensée reprendrait alors son cours là où il avait cessé. Il y aurait aussi une nouvelle émergence d’originalité, puisque l’esprit ne serait plus enfermé dans une prison formelle l’obligeant à se conformer à l’éthique, à la culture et, encore pire, à la mode.

Mais qui dit pensée, dit langage, forcément, car la pensée ne peut pas se construire sans lui. Cela me mène à un élément qu’il est impossible d’éviter et de rayer : le langage est le moteur de la pensée. C’est là tout le problème, car qui dit langage, dit aussi structures et formes. L’esprit ne peut donc pas se sortir de la forme sans se débarrasser du langage. J’en viens donc à dire, après ce constat, que l’être humain ne peut pas faire autrement que de se vautrer dans le conformisme créé par la nécessité de posséder un langage propre à développer sa pensée. C’est le langage qui a créé l’homme à son image, et non Dieu. Mais la Genèse ne commence-t-elle pas ainsi : « Au début était le verbe, le souffle »? Dieu est langage, tout comme le langage est Dieu. Pour l’être humain, tout commence par le langage, et je pourrais dire en même temps : tout commence par la pensée structurée. Comment, donc, éviter le conformisme sans disparaître complètement de la chaîne communicationnelle? Sommes-nous tous voués à devenir semblables parce que le contraire est tout bonnement impossible? Sinon, admettant que nous arrivions à nous détachés de la pensée structurée (donc du langage), ne deviendrions-nous pas des îles solitaires perdues dans notre univers personnel? On peut le refuser (la révolte camusienne fait ici une brève apparition). Il reste ensuite à trouver une solution de rechange. L’exformisme. Comment le construire? Là est la question. On ne peut le construire puiqu'il n'a pas de forme. L’exformisme peut-il évoluer à travers un langage structuré? Il ne serait plus exformisme, alors, mais une forme parmi toutes les autres, de plus en plus délavée au fil des années. Peut-être suffirait-il simplement d’exterminer les conventions… mais de nouvelles feraient ensuite leur apparition… Mon esprit n’est encore qu’à une étape embryonnaire de son développement exformiste et la poésie que j’ai écrite jusqu’à maintenant n’est que le commencement d’autre chose d’encore inconnu. Je sens du moins que c’est par-là qu’il me faut avancer pour réveiller les véritables forces de l’exforme qui ébranleront la structure complète de notre société. D’ici là, je n’ai qu’à laisser mon inconscient me guider sur la bonne voie.

Luc Pelletier
7 décembre 2003

1 commentaire:

il y En a a dit...

C'est incroyable à chaque fois que je te lis, je tripe. Je ne peux pas affirmer que je comprend touts tes écris. Mais que j'aime comment tu vois certains aspect de la vie.
J'aimerais bien qu'un jour qu'on en parle.